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FEMMES MEURTRIES

Depuis 16 ans, 2 228 femmes ont été tuées par leur (ex) conjoint en France. Une défunte sur cinq avait porté plainte contre celui qui allait devenir leur meurtrier.

Oui, ces expressions « crime passionnel », « drame de la passion » n’ont aucun sens. Comment peut-on associer l’idée de tuer quelqu’un à une forme d’amour ? Ce sont plutôt des crimes de possession. Dans de nombreux cas, la rupture - ou tout du moins la volonté de prendre sa liberté et de s’émanciper - agit comme un déclencheur du passage à l’acte. Ça renvoie à ce qu’on attend de l’autre dans une situation de couple. Toutes ces histoires, ce sont celles d’hommes, qui parfois ne se considéraient même pas comme auteurs de violences conjugales, et qui, un jour, vont s’arroger un droit de vie et de mort sur la femme qu’ils sont supposés aimer.

sur votre site, vous décrivez les violences conjugales comme quelque chose d’insidieux. De nombreuses victimes ignorent qu’elles le sont ou mettent des années à s’en rendre compte…

On a souvent tendance à associer les violences conjugales aux violences physiques. C’est très réducteur et cela peut donc être dangereux quand cela isole d’autres victimes. Les violences conjugales s’inscrivent dans un contexte bien plus large de domination. Un chercheur américain, Evan Stark, a développé le concept de contrôle coercitif. Il prend pour image une cage dans laquelle seraient enfermées les victimes. Chaque barreau serait un aspect des violences conjugales : physique, stratégie d’intimidation ou d’isolement, contrôle économique ou de la vie quotidienne…

Au cours de mon enquête, j’ai, par exemple, rencontré plusieurs femmes de milieux sociaux très privilégiés qui m’ont raconté avoir mis longtemps à se reconnaître comme victime malgré le sentiment de peur dans lequel elles vivaient. L’une d’elles habitait dans un hôtel particulier. Elle m’a raconté que son mari coupait le gaz lorsqu’il partait en déplacement l’obligeant, elle et ses enfants à vivre dans une maison glaciale. Elle était obligée de faire chauffer de l’eau à la bouilloire pour les laver. Paradoxalement, il lui offrait régulièrement des habits ou des bijoux car il y avait un besoin de représentation. Un jour, il a tué leur chien sous ses yeux car il avait tenté de s’enfuir. Elle a pris cela comme une menace : « Voilà ce qui se passera si tu t’échappes ». Il n’y a pas forcément besoin de lever la main sur une femme pour la briser. Ce que j’essaye de montrer sur ce site, c’est ce continuum de violences : le meurtre, c’est ce qui arrive tout au bout, lorsqu’on banalise ces comportements.

Sur la question du déni, difficile de ne pas faire le lien avec une scène de viol que vous racontez avoir subi lorsque vous étiez étudiante. Vous n’employez, pourtant, pas le mot viol dans vos pages. Pourquoi ?

Oui, il s’agit d’un viol mais je n’ai, de toute évidence, pas ressenti le besoin d’écrire ce mot pour parler de ma propre expérience. Je l’ai écrit de la façon dont j’ai eu envie de la raconter, sans jamais avoir aucun doute sur la manière dont ce vécu va être interprété par les lectrices et les lecteurs. J’ai partagé ce souvenir parce que je sais qu’il va parler à d’autres, y compris dans la manière choisie pour le raconter.

On a le sentiment que les femmes qui ont tenté de dénoncer les violences ont été abandonnées par la police et la justice. Un rapport de 2023 de l’inspection générale de la justice révèle que 82 % des plaintes ou mains courantes déposées par des victimes de féminicides conjugaux n’ont pas abouti.

De trop nombreuses fois, les plaintes n’ont pas entraîné de réponses des autorités. C’est, par exemple, le cas de Géraldine Sohier qui a été tuée en 2016 par arme à feu. Quelques semaines auparavant, elle avait fait un signalement à la gendarmerie, ses enfants avaient évoqué ces armes mais rien n’a été fait et elle sera tuée avec l’une d’elles. Dans le cas de Razia, il y a eu sept plaintes, six de sa part, la dernière de son avocate. Au début, l’affaire a été très bien traitée, elle a été mise à l’abri mais c’est aléatoire. C’est un courrier de la Sécurité sociale qui a révélé à son ex-mari où elle s’était réfugiée avec ses enfants. Il les a à nouveau harcelés. Selon le réseau Solidarité Femmes, quand elle s’est rendue au commissariat pour le signaler, on lui a répondu que c’était « juste un père qui voulait voir ses enfants ». Elle était pourtant sous ordonnance de protection.

L'enquête débute en 2020. Depuis, il y a eu le mouvement MeToo, le Grenelle des violences faites aux femmes. Avez-vous constaté une évolution dans la prise en charge des victimes ?

Bien sûr, quand j’ai commencé à travailler sur les féminicides, en 2020, la plupart des gens ne savaient même pas ce que c’était ! Il y a aujourd’hui une prise de conscience générale malgré de multiples lacunes. Les budgets alloués à la formation et la prise en charge des victimes ont augmenté. Le Grenelle a permis de prendre en compte une problématique centrale, celle de la récidive. Un homme auteur fait souvent plusieurs victimes et une condamnation n’enraye pas forcément le passage à l’acte. Au contraire, elle entraîne parfois un sentiment de victimation. Le Grenelle a débouché sur la création d’une trentaine de centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Mais quand on parle de progrès, il ne faut pas oublier que la prise en compte des violences conjugales en France est très récente. Le premier rapport statistique sur les morts violentes au sein du couple date de 2006 : avant cette date, on ne pouvait pas savoir quelle était la proportion d’hommes et de femmes morts au sein du couple.

A toutes ces femmes meurtries par la violence aujourd’hui c'était un jour très spécial, c'était le jour de mes funérailles.
Hier dans la nuit, il m'a finalement tué.

 "J'ai reçu des fleurs aujourd’hui ...

Ce n'était pas mon anniversaire ni un autre jour spécial.

Nous avons eu notre première dispute hier dans la nuit et il m'a dit beaucoup de choses cruelles qui m'ont vraiment blessée.

Je sais qu'il est...... désolé et qu'il n'a pas voulu dire les choses qu'il a dites parce qu'il m'a envoyé... des fleurs aujourd’hui.

.J'ai reçu des fleurs aujourd’hui

Ce n'était pas notre anniversaire ni un autre jour spécial.

Hier, dans la nuit, il m'a poussé contre un mur et a commencé à m'étrangler.

Ça ressemblait à un cauchemar, je ne pouvais croire que c'était réel.

Je me suis réveillée ce matin le corps douloureux et meurtri.

Je sais qu'il doit être désolé parce qu'il m'a envoyé des fleurs aujourd’hui.

J'ai reçu des fleurs aujourd’hui.

Et ce n'était pas la fête des mères ni un autre jour spécial.

Hier, dans la nuit, il m'a de nouveau battue, c'était beaucoup plus violent que les autres fois.

Si je le quitte, que deviendrais-je ?

Comment prendre soin de mes enfants ? Et les problèmes financiers?

J'ai peur de lui mais je suis effrayée de partir.

Mais je sais qu'il doit être désolé parce qu'il m'a envoyé des fleurs aujourd’hui.

J'ai reçu des fleurs aujourd’hui.

Aujourd'hui c'était un jour très spécial, c'était le jour de mes funérailles.

Hier dans la nuit, il m'a finalement tué.

Il m'a battu à mort.

Si seulement j'avais trouvé assez de courage pour le quitter, je n'aurais pas reçu de fleurs aujourd’hui

A toutes ces femmes meurtries par la violence

Fondatrice et présidente Association C.A.P.F.E.M

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capfem74@hotmail.com

Témoignage des victimes

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